"Pourvu qu'elles soient douces" de Mylène Farmer : entre éloge de la sodomie et mythe du poète libertin

Goût pour les jeux sexuels... et la sodomie

Comme tous ses textes, celui de Pourvu qu’elles soient douces est signé par l'artiste franco-canadienne elle-même. "Eh mec, ton regard oblique / En rien n'est lubrique / Ta maman t'a trop fessé / Ton goût du revers / N'a rien de pervers / Et ton bébé n'est pas fâché / Ton Kamasutra a bien cent ans d'âge / Mon Dieu que c'est démodé / Le nec plus ultra en ce paysage / C'est d'aimer les deux côtés".

Autre passage : "Je fais des 'ah', des 'oh / Derrière ton ouvrage / Quand mon petit pantalon / Debout et de dos / Sans perdre courage / Dénude tes obsessions".

Le champ lexical suggère des goûts ou des jeux sexuels. On cite le Kamasutra, guide connu des postions contorsionnistes. On évoque la lubricité, un penchant pour la sensualité, on évoque la fessée. Des goûts ou des jeux sexuels qui seraient de biais pour signifier que tout le monde ne les pratique pas. De plaisir de biais, ou en diagonale, avec des mots comme 'oblique', 'revers'.

Et en insistant sur le verso du corps désiré avec des mots comme : 'derrière', 'de dos' et, surtout, 'des deux côtés' dans "Le nec plus ultra en ce paysage / C’est d’aimer les deux côtés", c’est-à-dire devant et derrière.

Pourvu qu’elles soient douces peut se lire comme une chanson sur la sodomie, le 'elles' du titre se référant sûrement aux fesses. Et, dans le cas du personnage de la chanson, son obsession des fesses. Rappelez-vous : "Quand mon petit pantalon dénude tes obsessions". Il est bien question de croupe, la preuve par, "muse ou égérie, mes petites fesses ne cessent de t’inspirer". Le séant est donc ici source d’inspiration poétique. Pour revenir à "Ton regard oblique", l’expression pourrait renvoyer, selon des fans, à une série de Robert Doisneaux de 1948, baptisée Le regard oblique dans laquelle le photographe photographie des passants qui regardent, dans la vitrine de la galerie Romi au 21 rue de Seine à Paris, le tableau du femme, de dos, qui montre… ses fesses.



L'art de la poésie et du libertinage

Mylène Farmer mixe deux choses dans cette chanson : son désir de faire poésie, avec son chapelet de rimes et de figures de style, comme dans le refrain axé sur l’allitération "Tu t’entêtes à te foutre de tout", avec son goût pour le mythe du poète qu’elle voit comme un esthète libertin façon XVIIIe siècle.

"Tu t'entêtes à te foutre de tout / Mais pourvu qu'elles soient douces / D'un poète tu n'as que la lune en tête / De mes rondeurs tu es K.O / Tout est beau si c'est vu de dos" : une fois encore, le vocabulaire insiste sur l’idée qu’on parle bien du derrière et des jeux se pratiquant à l’arrière. "Tout est beau si c’est vu de dos""mes rondeurs", mais aussi "tu n’as que la lune en tête". En français, 'la lune' signifie le derrière. Dans le langage courant, la lune, c’est le début des fesses, le haut des fesses qui laisse apercevoir le début de la raie du… ce qu’on appelle plus le pli interfessier. Cette lune qu’on appelle aussi, une fois exhibée, 'sourire du plombier'.

La chanson est construite sur un réseau lexical – avec double signification à la clé. Vocabulaire et sens qu’on ne saisit pas tout de suite. D'après Adrien Naselli, auteur d'un mémoire intitulé Mylène Farmer : poésie et chanson contemporaine, c’est normal de ne pas toujours comprendre ce qu’elle chante pour deux raisons. D’abord parce qu’elle chante très haut, ce qui ne facilite pas toujours la compréhension. D’où le fait que la référence à la sodomie passe au-dessus de la tête d’à peu près tout le monde. Ensuite parce qu’elle utilise des combinaisons de mots incongrus pour créer le mystère. Une façon d’entretenir l’univers énigmatique au centre duquel elle est l’héroïne, miroir des fantasmes de ses fans. Personnage, il faut l’avouer, qui n’a pas toujours pris au sérieux par les intellectuels et par certains médias, alors que, pour ses admirateurs, il n’y a pas l’ombre d’un doute, Mylène Farmer est une autrice.

D'autres artistes féminines ont osé s'imposer avec des textes aux références sexuelles assumées

Ce qui remarquable c’est qu’en 1988, une femme attaque le Top 50 avec un éloge de la sodomie, cela n'arrive pas tous les jours. Pourvu qu’elles soient douces a été un tube énorme. Elles ne courent pas les rues les chanteuses qui ont ouvertement, ou crument, évoqué la sexualité. Même si Colette Renard, en 1963, a tout cassé avec Les nuits d’une demoiselleUne chanson où elle multiplie les synonymes argotiques pour désigner son sexe. Une chanson écrite par un homme, Guy Breton, mais tout de même.

En revanche, c’est bien Guesch Patti qui, en 1987, écrit cette fameuse allusion sexuelle restée dans les… mémoires : Etienne.

Prise de parole frontale des filles sur la chose sexuelle et les pratiques sexuelles avec – exemple – en 2008 – Yelle qui répond au machisme salace des rappeurs dans Je veux te voir.

Enfin, récemment Juliette Armanet dit qu’elle veut faire l’amour dans cette adaptation en français d’une chanson de The Weekend, I Feel It Coming qui devient Je te sens venirMais en 1988, Mylène Farmer séduit petits et grands avec cette chanson Pourvu qu’elles soient douces.

 

 



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